Ce texte est ma participation à l’atelier d’écriture n°285 du 27 novembre 2017 sur Bric à Book

Francesco aimait la mer par-dessus tout et elle était sa raison d’être depuis toujours. Issu d’une famille de marin, il avait fait ses études dans une prestigieuse école d’officiers de la marine marchande en Italie et en était sorti diplômé « capitaine long-courrier ». Cela faisait presque 30 ans maintenant. Son métier lui plaisait comme au premier jour et il tenait son rôle de commandant avec fierté. Sans nul doute, il faisait partie de ces hommes dont on dit qu’ils sont nés sous une belle étoile car en plus d’être comblé par sa vie professionnelle, il était marié à une femme qu’il aimait et lui rendait son amour au centuple, et était la père d’une jeune fille de 20 ans qui le remplissait de bonheur. Tous ceux qui le croisaient l’enviaient, le trouvaient agréable et recherchaient sa compagnie. Sa notoriété n’était plus à faire et paraissait immuable…
Et pourtant…
Etendu sur le lit de la cellule qu’il partageait avec trois autres détenus, Francesco ferma les yeux pour mieux s’isoler.
Le départ de ses proches venus le visiter le mettait toujours dans cet état de torpeur douce-amère et amplifiait ses regrets de ne plus faire partie de cette vie qui jadis l’avait tant gâtée. Bien-sûr le plaisir de les voir restait intact, mais il ne pouvait s’empêcher de fanfaronner devant eux et de leur servir sa version des faits, celle qui le mettait en valeur et le disculpait de cet abandon odieux dont on l’accusait. Et s’il reconnaissait une part de responsabilité dans l’accident, il persistait à partager son erreur avec le reste de l’équipage « sans lequel rien ne serait arrivé ». Quant à son comportement après les faits, il ne comprenait pas ce qu’on lui reprochait. Etait-ce de sa faute s’il avait malencontreusement glissé du pont et avait chuté dans le canot de sauvetage qui l’avait mené à terre, alors que son navire était en perdition avec tous ses passagers à bord ? Qu’aurait-il pu faire pour ces centaines de personnes, lui pauvre capitaine emporté contre son gré dans une embarcation de fortune ? C’était injuste et ingrat, et il était outré à l’idée que l’on pense qu’il ait pu abandonner son bateau !
Telle était la version qu’il réservait à ceux qui voulaient bien l’écouter et il était si persuasif qu’il parvenait parfois à croire en son propre discours.
Pourtant quand tous repartaient et qu’il se retrouvait seul face à lui-même dans sa cellule, il revivait ce jour fatidique du vendredi 13 janvier 2012. Il revoyait alors son bateau de croisière prêt à reprendre le large sous le soleil d’hiver qui reflétait ses rayons dans l’eau calme de la méditerranée. Tout paraissait simple alors et il était encore le fier commandant du Costa Concordia. Rien ne présageait que sa négligence, son imprudence et sa lâcheté mèneraient son navire au naufrage, entraîneraient la mort de 32 passagers et les blessures de 193 autres.
Certes son erreur de pilotage avait conduit à l’accident, mais pire encore : son manque de courage en avait amplifié les conséquences et son refus de reconnaître l’évidence, son entêtement à soutenir une version invraisemblable faisait dorénavant de lui un être abject.
Il le savait et se méprisait.
©Jos Gonçalves le 27 novembre 2017
C’est vraiment la version qu’il donne ? Merci de ce rappel Jos… Le mépris de soi même est la pire des prisons. Qu’il y reste…
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C’est vraiment la version qu’il donne…ou du moins qu’il a donnée, et persister ainsi dans la lâcheté me parait incroyable! Merci de ton passage Amor Fati !
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J’aime le fait d’entrer dans les pensées de cet homme. C’est très bien écrit.
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J’espère qu’entre lui et lui il se parle « vrai »…Merci L’atelier sous les feuilles.
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Quelle belle idée Jos d’avoir utilisé ce cliché pour parler de ce fait divers. Je l’avais suivi de loin et ne savais pas la version donnée par ce lâche, j’ai donc appris une chose ce jour à travers ton texte, toujours divin dans la description des faits ! des bises
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Merci Nady…J’ai pensé à ce malheureux naufrage dès que j’ai vu la photo. Je me souvenais que le capitaine avait quitté le navire avant tous les passagers et c’est en surfant sur le net que j’ai appris la raison qu’il a donné pour argumenter son départ ! Double faute donc pour lui et j’espère vraiment que le mépris de lui même alourdit sa peine ! Bises aussi Nady !
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Ouch, le début du texte me donnait envie de m’identifier à lui, du coup la suite est assez étrange car l’identification ne peut plus fonctionner. Bien mené, tu joues avec ton lecteur (enfin, du moins avec moi.) 🙂
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En fait j’ai voulu reprendre le rythme qu’a du être celui de la croisière – la joie du départ, le plaisir des premiers jours de la croisière…et enfin le terrible naufrage – et mettre tout cela en parallèle à la carrière même du capitaine… Merci pour ton commentaire Leiloona !
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oui d’accord avec leiloona. on ne se méfie pas et paf on comprend. il a dit ça ?!? qu’il croupisse en prison. bien vu !
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Oui, à priori c’est l’argument qu’il a donné à son départ du bateau avant tous les autres ! Tellement lamentable… Merci de ta visite Blandine.
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Se trouver des excuses, c’est souvent la seule facon de ne pas devenir fou de douleur, cela m’apparait comme un mécanisme de défense de la pensée.
Ou alors C’est un personnage sans empathie pour les autres.
Combien expriment des regrets de l’acte commis ? Plutôt des regrets de s’être fait prendre.
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Je peux comprendre le regret…d’ailleurs je peux même comprendre la faute en elle même (la comprendre seulement, pas particulièrement l’accepter). J’ai plus de mal pour ce qui est de ne pas assumer sa faute, de fuir ses responsabilités et d’aller même jusqu’à les nier. Certes c’est humain, mais l’empathie aussi, et la meilleure façon de ne pas devenir fou de douleur est peut-être de ne pas persister dans l’erreur ! Très franchement au vu de sa réaction face à la difficulté, je crois que son plus grand regret est effectivement de s’être fait prendre…et clairement : je ne l’envie pas ! Merci Adèle de ta visite !
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Excellent je me suis fait avoir, j’ai cru à l’histoire et paf c’est l’autre lâche! ah bravooooo, je ne m’y attendais pas
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Oui ! C’est bien lui ! Je pense que lui non plus ne s’attendait à cette chute et à « écoper » cette peine…Mais en fin de compte, il y a toujours le revers de la médaille… Et Paf comme tu dis ! Merci de ta visite Thontine.
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Très bien racontée…trop pour ce bougre qui ne mérite pas tes mots !
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Merci Valérie !
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Lors de ces faits, je me demandais comment on pouvait encore parler de « Capitaine » ou de « *Commandant », quel comportement minable ! Ton texte est magnifique, une belle une de journal.
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Ton commentaire me parle car je me suis fait la même réflexion quand j’ai écrit mon texte : je m’en voulais presque de lui attribuer un grade. J’ai tenté un moment de ne pas mettre de « titre » avant son nom, mais cela n’allait pas au niveau de la compréhension du texte et de l’effet de surprise…Bon, le principal est qu’il n’est pas prêt de se retrouver aux commandes d’un bateau ! Merci de ton commentaire Janickmm !
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