Ce texte est ma participation à l’atelier d’écriture n°265 du 1er mai 2017 sur Bric à Book

Accoudé au rebord de la fenêtre, l’homme regardait les papiers qu’il tenait à la main. Il ne pouvait détacher son regard des billets qu’il venait de recevoir et dont la valeur, dans son pays, représentait l’équivalent d’un très bon salaire. Il les comptait et recomptait, vacillant entre un sentiment de soulagement et de honte. Cette petite fortune aurait dû le rendre heureux, mais il restait prostré, le visage fermé et le cœur serré, sans voir ni entendre les femmes attroupées-là pour l’observer.
Cet argent qui n’était pas le fruit de son travail, il ne le méritait pas et ses mains tremblantes tournaient et retournaient avec amertume l’objet de son indignité. Les images qu’il tenait entre ses doigts se superposaient à celles de son aîné parti pour un ailleurs quelques mois plus tôt. En désaccord sur ce départ, ils en avaient longuement discuté. Mais le fils n’avait rien voulu entendre et c’est la tête remplie d’espoir et le cœur débordant de promesses qu’il s’en était allé au petit matin, pour éviter les larmes de sa mère et de ses sœurs encore endormies. Le père l’avait embrassé une dernière fois et refermé la porte derrière lui. Il n’avait pas voulu regarder partir son enfant ni le voir fuir ce pays que lui seul continuait à aimer malgré la misère et la tyrannie qu’il lui infligeait. Il s’était promis de ne rien accepter de celui qu’il considérait comme déserteur et si depuis des mois il s’inquiétait et souffrait de ne pas avoir de ses nouvelles, il se consolait à la pensée de ne pas avoir eu à mettre sa promesse à l’épreuve.
Mais les semaines s’étaient succédées, chacune plus terrible et misérable que la précédente. La petite famille vivait la peur au ventre et le ventre vide. Alors le père, tremblant chaque jour un peu plus pour ceux qu’il aimait tant, avait fini par admirer ce fils devin et prévoyant, et à guetter une lettre de sa part.
L’homme ferma les yeux et aspira une grande bouffée d’air. Quand il regarda à nouveau ses mains, il vit sous un autre angle l’argent que son fils lui avait envoyé. Son aîné avait atteint son but et tenu sa promesse. Il était l’honneur de la famille et du nom qu’il portait. Et lui qui avait tout fait pour le dissuader de son dessein, était maintenant fier de ce fils dont il louait le courage et l’abnégation.
Les femmes, restées là à l’épier et à deviser sur sa réaction, le virent relever la tête et se redresser. Puis elles l’entendirent prononcer cette phrase destinée à la chair de sa chair :
« Fils tu es, père tu seras ; ce que tu donnes tu recevras. »*
*Miguel de Cervantès – Le petit-fils de Sancho Panza
©Jos Gonçalves le 1er mai 2017